vendredi 18 mai 2007

" Cours Sarko ! Cours ! "

Déjà un style. Le style Nicolas Sarkozy. Rien à voir avec les précédents. Tout dépoussiéré soudain, briqué, réajusté. Un président qui sort, un président comme on en a connu des dizaines, par ici, dégarni du dessus, solennel et vague du regard. Le tapis rouge n’a plus de secret pour lui, les cérémonies non plus, mais il paraît gauche, ce Chirac-là, face au jeune trublion (sauvageon ?) qui vient lui serrer sa dernière pince, ce 16 mai-là. Et vas-y que je te tourne vers les objectifs, et vas-y que je te mette la main sur l’épaule, avec cet allant si peu commun, si... rapide sur ces marches -à. L’Elysée, c’est soudain la Croisette, rien ne manque : ni le bronzage (l’air yachté sans doute) ni les starlettes, blondes et grandes, grands et blonds, sauf un, et les genoux bien dénudés, les talons, les sourires, un clan, une famille recomposée comme on n’en avait jamais vu encore de ce côté-ci de la capitale. Sarkozy apporte avec lui cette vigueur soudaine, cet imprévu punchy qui transforme tout protocole en moment de flottement, décalé et inédit. Il ne s’arrête jamais vraiment, le nouveau président : à peine une main desserrée il embrasse déjà un autre visage, répond à une autre question, désigne un nouveau ministre, enfile une paire de baskets, court un instant, revient, expose sa sueur, ressort visiter Angela d’Allemagne, revient, consulte, réfléchit, console Devedjian, arrondit Coppé, confirme Kouchner, installe Cécilia et repart courir.

Il ne s’arrête jamais. Mais il n’oublie rien. Pied de nez masqué en hommage à ceux qui prétendaient être entrés en résistance depuis son élection (de valeureux combattants : Diam’s, Noah, Gérard Miller ou Bénabar) il demande que chaque lycéen du peuple de France entonne, non la Marseillaise, ne brandisse pas un drapeau, mais entende l’ultime lettre, les derniers mots d’un jeune homme parti debout dans une époque où la guerre n’était pas un concept, le fascisme une insulte et Aragon un auteur de la Pléiade. Guy Môquet était son nom. Communiste, résistant, qui écrit aux siens la veille de sa fin : « Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, je vais mourir ! ». La lettre commence ainsi, et il est vrai que ce point d’exclamation là en impose. S’ensuit quelques phrases où Môquet salue toute sa famille, avant de conclure : « 17 ans et demi, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret, si ce n’est de vous quitter tous. » (...) « Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, je vous embrasse de tout mon cœur d’enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime ». Cette lettre-là, implacable, émouvante, Sarkozy voudrait qu’elle soit lue « en début d’année à tous les lycéens de France. » Pourquoi ? "Il est essentiel d’expliquer à nos enfants ce qu’est un jeune Français, à travers le sacrifice de quelques-uns, l’anonyme grandeur d’un homme qui se donne à cause plus grande que lui", a-t-il dit. "Que les enfants mesurent l’horreur de la guerre et à quelles extrémités barbares elle peut conduire", a-t-il ajouté.

C’est donc sous le signe du sacrifice, de la résistance, du « devoir de mémoire » aussi, que Sarkozy a placé sa journée d’investiture. Ne pas oublier. Tout n’est pas à balayer d’un revers de main, tout n’est pas que barricades et mois de mai. Tout souvenir n’est pas repentance. Guy Môquet au milieu des affriolantes tenues des filles Martin, c’était un brin surprenant, mais c’est aussi cela, le style Sarkozy. Un jour Blum, un autre Jaurès, un jour Bigard, un autre Macias. Un mélange des genres. Un jour au Fouquet’s, un jour au bois de Boulogne, un jour à Malte, un jour à Brégançon. Un jour Kouchner, un jour Attali, approché lui aussi, pour une « mission », comme George Marc Bénamou, Hubert Védrine, Claude Allègre, ou Jean-Pierre Jouyet, dernier venu, qu’on dit proche du couple Hollande Royal. Sarkozy débauche, pour énerver Julien Dray, et il ébauche aussi, son gouvernement, autour de François Fillon, enfin Premier ministre officiel.

Devraient figurer six femmes : Alliot Marie (Intérieur) Rachida Dati (Justice) Valérie Pécresse (Recherche et enseignement supérieur) Roselyne Bachelot (Santé et Sport) Christine Lagarde (Agriculture) et Christine Albanel (Culture) et huit hommes (pas la parité !) mais ça pourrait changer : Kouchner (Affaires étrangères) Juppé (Environnement) Hortefeux (Identité nationale) Morin (Défense) Borloo (Emploi) Eric Woerth (Budget) Xavier Bertrand (Affaires sociales) Xavier Darcos (Education) et donc Jean Pierre Jouyet (secrétaire d’Etat aux Affaires européennes).

A peine la liste confirmée, ce matin avant 10 heures, Sarkozy sera déjà sur le point d’embarquer pour Toulouse, direction Airbus, pour rendre compte des discussions qu’il a eu avec Merkell sur EADS. Toujours en mouvement, tout le temps, le nouveau président a déjà annoncé qu’il souhaitait traiter tous les dossiers en même temps, vite, et obtenir des résultats probants partout. Réactivité, efficacité, popularité. Il faut que ça transpire et que ça se voie. Pour ne pas laisser de place à la gauche, pas le temps de se refaire une santé, cette gauche socialiste qui a dû annuler en catimini les festivités annoncées par Royal le soir de sa défaite. Pas de grand rassemblement « façon Charléty » pour remercier Ségolène, qui bronze en Tunisie. Officiellement, Hollande (qui va bientôt la rejoindre à Djerba) n’a plus d’argent dans les caisses. Pas de bras, pas de chocolat. Officieusement, le PS est au plus mal, soufflé par le deuxième effet Kouchner, qui n’a pas fini de faire des vagues, et qui laisse les éléphants, réformateurs ou non, à leur triste sort d’espèces en voie de disparition. Plus le PS s’affaisse, plus Sarkozy accélère, dirait-on, comme pour distancer le plus possible cette opposition peu imposante, qui ne sortira pas la tête de l’eau avant les législatives, sauf miracle. Les premiers sondages donnent un sacre de plus à la majorité présidentielle. « Que des sondages » persiflera Solferino, mais des sondages qui reflètent souvent une exacte réalité.

Il court, il court, Sarkozy, il est passé par ici, il repassera par là, c’est bien connu, une sorte de moderne-politique nouvelle dans l’hexagone, une tournée promotionnelle géante de l’UMP pour un film à gros capitaux prévu pour rester sur les écrans pendant cinq ans, pas moins.

P.P

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